Malgré nous…

L’immense bâtisse se détachait encore un peu dans la pénombre et des éclats de rire s’échappaient des fenêtres restées ouvertes. Le rez-de-chaussée était éclairé dans sa totalité. De manière quasi simultanée, de nombreuses lumières s’allumèrent au premier puis au deuxième étage : les enfants regagnaient leur chambre après avoir célébré leur dernière soirée ici. Le lendemain matin, ils quitteraient tous ce camp de colonie de vacances pour retrouver leurs foyers respectifs.

Théo, treize ans, glissa dans la main de son ami Maxime un bout de papier sur lequel il avait griffonné à la hâte son adresse et son numéro de téléphone. Les deux enfants s’étaient rencontrés trois semaines plus tôt, en arrivant ici, et ne s’étaient plus lâchés depuis. Sauf pour dormir, Maxime s’étant vu attribuer une chambre au deuxième étage, qu’il partageait avec un autre garçon, Julien, alors que Théo devait dormir au premier.

Théo avait le cœur lourd à l’idée de devoir quitter son nouvel ami. D’ordinaire, il se tenait toujours à distance des enfants qui l’entouraient. Non par manque de sociabilité, mais par mesure de protection. Mesure à laquelle la cruauté des autres l’avait contraint car les railleries permanentes dont il était victime au collège l’avaient poussé à s’isoler de plus en plus et à se méfier de la méchanceté de ceux de son âge. De vilaines bagues en métal collées sur ses dents l’avaient élevé au rang de souffre-douleur. Dès qu’il franchissait le seuil de l’établissement, les plus féroces le pointaient du doigt en ricanant. Fusaient alors des « Bouffon ! », « Dents de fer ! », « Aluminium ! », « Centrale nucléaire ! ». Les plus faibles ne manquaient pas d’en sourire, bien contents de ne pas être à sa place. Ces humiliations le poursuivaient en permanence, de la cour aux salles de classe, avant de venir hanter ses nuits...